DMX - It's dark and hell is hot Il n’y avait pas meilleur titre à trouver que la sentence noire « It’s dark and hell is hot » pour le premier album de Earl Simmons. DMX a vint-sept années derrière lui. Son album est un disque qui fait remonter les ténèbres à la surface. Le disque est froid, seule la ballade sauvage de « Ruff Ryders Anthem », et les funky « Fuckin wit D » et « Get at me dog », paraissant tout droit sorti d’un disque de Redman ou du Def Squad, laissent quelque peu monter le mercure dans un purgatoire sonore hardcore. Des gémissements de chiens sur « Look thru my eyes » aux court-jus de « X-is comin », de la production synthétique sombre de « Let me fly » à celle démoniaque de « Stop being greedy », le ton est infernal. Les cloches et sirènes de police de « ATF » ou le possee-cut final avec The LOX et Mase sont comme ces plongées dans les abîmes du New-York de Al Pacino dans l’Associé du Diable. Echangeant avec Dieu sur l’expiation de « The Convo » et avec l’antéchrist sur un « Damien » malveillant, DMX aboie et clame tout son mal-être et sa rage avec une certaine prose, la voix claire et agressive pouvant parfois rappeler le style de 2Pac. La grande majorité de l’album est produite par Dame Grease. Plaçant ses beats chez Bad Boy et Ruff Ryders, il livre ici un classic de cette année 98 où DMX se partagera la couronne de NYC avec Big Pun et son terrible « Capital Punishment ». Deux disques qui sauront faire une place aux anthems street et placer des faces B incroyables. Ecoutez « Still not a player » et "Boomerang” chez Pun. Ecoutez “Ruff Ryders Anthem” et “The Convo” chez DMX. Le feu et la glace.
Ras Kass - Rassassination Pendant que Daz et Nate Dogg livraient respectivement « Retaliation , Revenge and get back » et « G Funk Classics vol 1 & 2” dans une pure vibe G-Funk, la West Coast avait également dans sa manche un rappeur d’exception semblant pourtant tout droit sorti de la East Coast. Ras Kass avait déjà sorti en 96 l’excellent « Soul on Ice », en 98 « Rassassination » allait lui succéder brillamment. Avec un flow punchy et élastique à la Redman, Ras Kass est un lyriciste hors pair s’aventurant sur des terrains peu explorés. « Nature of the Threat » et « Ordo Abchao » sur l’album précédent partaient dans des explications historiques et mystiques alambiquées. Sur « Rassassination » cette touche reste la marque de fabrique du rappeur californien. « Interview with a Vampire » et "The End” enfoncent le clou, en compagnie de RZA sur ce dernier (et produit par Easy Mo Bee). Ras Kass, qui a été membre de deux super groupes aux projets finalement avortés ou bâclés (Golden State Warriors avec Xzibit et Safir et The HRSMN avec Kurupt, Canibus et Killah Priest), reste parmi les meilleurs paroliers du rap et aurait pu former avec Prodigy, RZA et Jeru Tha Damaja une team cosmique à la hauteur de son talent. Mais Ras Kass est loin d’exceller seulement sur cet exercice de style, le rappeur s’approche d’un tube block-buster finalement peu prisé sur « Ghetto Fabulous » avec Dr Dre et Mack-10. La production de Stu-bee-doo ralentit l’expérimental « Trans Europe Express » de Kraftwerk et y colle un sample d’opéra baroque pour en faire un cocktail explosif. Mais la démonstration de cet album, c’est peut-être cet « OohWee ! » funky à souhait montrant que Ras est à l’aise sur tous les terrains. Un rappeur trop souvent oublié.
Devin The Dude - Devin The Dude The Dude. On connaît tous le Grand Lebowski et son histoire de tapis, ses hallucinations sous substances faisant passer la piste de bowling pour une piste aux étoiles. Il y a un autre Dude la même année qui a peu de chose près propose une version rap texane du protagoniste du film des frères Coen. Son nom Devin Copeland Aka Devin The Dude. Son premier album : "Devin The Dude". Jusqu'à la flemme de trouver un titre. Plaisanterie mise à part, l'album est un sommet du rap laid-back. Un disque à faire tourner plutôt en fin de journée ou, le top, en journée de gueule de bois pour ne pas brusquer les choses. Signé sur Rap-a-lot Records, Devin est loin des standards gangsta rap des Geto Boys, le flow se situe entre le flow parfois salace de Too Short et une version ralentie des aventures sous Indo et Gin de Snoop. "The Dude" est encore un disque qui montre que le rap n'a pas qu'une seule facette, et qu'il peut être décliné à toutes les sauces. Du moment qu'il garde ce côté authentique et que la production est soignée, ici par N.O. Joe, Mr Lee, Tone Capone entre autres (Scarface et J Prince en producteurs exécutifs). Devin fournira par la suite un catalogue très consistant jusqu'à encore aujourd'hui. Une longévité incroyable et une créativité sûrement accrue par les breuvages et herbes qu'il chantonne sur disque.
Juvenile - 400 Degreez Pour une oreille élevée au rap de NYC, l’écoute de « 400 Degreez » de Juvenile à l’époque pouvait devenir quelque chose d’assez éprouvant. Ceux qui avaient une oreille éduquée aux sons californiens avaient sûrement un peu plus de tolérance. La musique proposée par Mannie Fresh et son protégé du groupe The Hot Boys, composé par Juve donc, Turk, B.G. et du tout jeune Lil Wayne (16 ans), était bien différente des standards d’alors. Du moins pour la scène nationale, car localement, les sorties du label Cash Money fondé par les frères Williams (Birdman et Slim) connaissait un succès certain. Issus du quartier difficile Magnolia Projects de New Orleans, les raps catchy de Juvenile couplés avec les productions bounce de Mannie Fresh allaient exploser sur la scène nationale sur ce « 400 degreez » qui plaçait une fois de plus le Sud sur la carte. Le terreau musical de La Nouvelle Orléans allait bien sûr jouer un rôle dans ce disque. La ville renommée pour sa culture musicale globale (l’excellente série “Treme" de David Simon illustre très bien cet héritage), influe indirectement sur des titres comme « Follow me now » et ces airs de mambo emprunté à Tito Puente, « Welcome 2 the Nolia » où Turk et Juve s’associe pour présenter leur cité sur une ambiance de Mardi Gras local, ou encore le tube « Back That azz up » où la bounce music de Mannie s’envole sur des violons soyeux. Le producteur est déjà un vétéran de la scène locale. Mannie Fresh a commencé le DJing en 1984 à l’âge de 15 ans. Il est aussi derrière le succès de cet album qui en plus des tubes « Ha » et « Back That Azz up » propose des tracks plus subtils comme ce nocturne « Off Top » agrémenté de quelques flûtes et d’un piano discret, le sombre et feutré « 400 degreez » utilisant un filtre à la Moroder et ce « Ghetto Children » à la basse roucoulante et aux effets sonores sucrés. Deux décennies plus tard, le disque n’a pas pris de rides.
DJ Quik - Rythm-al-ism
Dans le sud de la France, la pochette du quatrième album solo de DJ Quik "Rythm-al-ism" aurait pu facilement être raillée de pochette de Mia. Permanente soyeuse, chemise bleue nuit ouverte, chaîne en or qui brille, le tout sous titré d'une police façon funk-disco des années 80. A n'en pas douter David Blake pourrait même porter les mocassins Nebuloni hors cadre.
Mais voilà, "Rythm-al-ism", deux décennies plus tard, a encore un sacré souffle. Une brise funk eighties brillante et rafraîchissante. La musicalité de ce quatrième album pourtant sorti dans la douleur (problèmes de labels pour Quik et surtout le meurtre de son ami Top Dog par son neveu sous son propre toit) est supérieure à tout ce qu'il a déjà pu sortir auparavant. David Blake est sur un run magnifique : "Safe + Sound" en 95, une grosse partie du mix de "All eyez on me" en 96 (et un tube avec Tony, Toni, Toné!), "Street Gospel" de Suga Free en 97, la musique de David se confit et cet album est un sommet de musique funk-disco-rap-r'n'b. Le mix incroyable fait ressortir un son ultra-propre, suave et claquant, et une furieuse propension à festoyer jusqu'à l'aube du prochain jour, coincé dans un rêve à la Bill Murray façon Groundhog Day, en beaucoup plus funky. Le Jour de la marmotte sous le signe du V. Celui du Vagin, explicitement cité dans "Medley for a V" en la compagnie grivoise de Snoop et Nate Dogg entre autres, juste après un hommage à El DeBarge (que l'on retrouve sur le medley précité), une des grandes influences de Quik, et juste avant "Bombudd II" où Quik s'essaye avec succès au reggae. Les postures gangsta sont restées dehors, "You'z a gangsta" réconcilie les deux côtes et offre une main tendue à MC Eiht. Le groove, la musique et l'envie de célébrer est au centre du disque. Un échappatoire funky dont le point d'orgue est peut-être cet hymne au titre évocateur, un "We Still party" aux gimmicks sonores reconnaissables entre milles, et à la guitare moelleuse de Robert "Fonksta" Bacon.
"So we party, until we die
'Cause life is much too short for you to not be fly". Le funk dans toute sa splendeur pour un disque toujours aussi frais.
Gang Starr - Moment Of Truth
« What we do, we update our formula. »
La formule de Gang Starr depuis « No More Mr Nice Guy, mais surtout depuis « Step into the Arena » en 1991 est la plus épurée que le hip-hop peut donner : one MC – one DJ. « Moment of Truth » succède à « Hard to earn » pris dans la crasse poisseuse du New-York de 1994, qui, lui, succédait aux découpes de samples précises de « Daily Operation » de 1992. Ce nouvel opus complète un impeccable run de quatre albums que peu d’autres groupes ont su fournir. Une formule mise à jour donc. Le son est plus propre, nettoyé du grain poussiéreux de « Hard to earn », et colle parfaitement à l’esthétisme de l’époque. Un album long, vingt titres, qui souffre parfois de moments un peu creux mais qui culminent sur des ego-trips (« You know my steez ») et des témoignages prenants de Guru (« Moment of Truth »), ainsi que sur des featurings de choix (« Above The Clouds », « BI VS Friendship », « The Mall », « Betrayal »). Preemo livre une démonstration de production et crache même quelques mots énervés (l’outro de « Royalty » et ses fameux « roaches » qui sortaient du coeur) sur les procès judiciaires autour du sampling qui commenceront à apparaitre et qui freineront ce procédé musical dans les années suivantes. Des propos sur lesquels il reviendra au micro de Rob Markman en 2017 en légitimant le travail des artistes échantillonnés dans sa moulinette musicale. Un sampling précieux qui permettra à tout une génération ayant découvert le rap avec l’explosion Death Row/Bad Boy/QB/Wu-Tang des mid90’s de creuser encore plus loin et découvrir un pan entier de culture musicale. De la boucle délicieuse de War sublimée par un couplet à la limite du spoken word de Scarface sur « Betrayal », aux drums alourdis de Jeff Beck sur « The Rep Grows Bigga ». De l’extrait du discours historique de JFK sur « Above The Clouds » aux hooks scratchant EPMD sur « New York Strait Talk », jusqu’au clip de « You know my Steez » reprenant l’esthétique de « THX 1138 » de George Lucas. L’auditeur découvrait donc la funk, la soul, le rap du sud, le rock progressif, l’histoire polico-spatiale américaine, la « Old School », et le cinéma de science-fiction pré-Star Wars. Gang Starr étaient les professeurs les plus ludiques qui soient.
« Moment of Truth » est arrivé à un moment crucial du rap juste après la grande explosion et a permis une ouverture culturelle incroyable aux auditeurs qui prêtaient attention aux détails. Juste pour cela, il est un monument du rap et un disque, même si imparfait, indispensable gardant une place toute particulière dans la discothèque.
“So you know the rhyme style is elevated
The style of beats is elevated but it's still Guru and Premier
And it's always a message involved.”
OutKast - Aquemini
Avec “Aquemini”, OutKast réussit à livrer une prouesse musicale assez inédite : présenter une sorte de Best-Of de leur discographie passée et à venir avec des titres cent pour cent originaux. « West Savannah » sonne comme les rides funky chaudes de leur premier opus. C’est normal vu qu’il a été enregistré à la même période. Le morceau titre de l’album « Aquemini » sonne encore comme le précédent. De même que l’introduction « Hold on, be Strong » avec ces kalimbas de l’espace évoquant l’ambiance de « ATLiens ». Le morceau clôture « Chonkyfire » est une passerelle vers leur album suivant, le futuristique « Stankonia » de 2000. « Rosa Parks » sonne comme une ballade country up-beat, et partage des similitudes avec le tube « Hey Ya » issu de « Speakerboxxx/The Love Below », leur cinquième opus et premier vrai-faux double-album du duo. Le patchwork de « Aquemini » est remarquable, après l’intemporel « ATLiens », OutKast prend encore de l’avance sur son temps et son époque. Organized Noise ne produit plus que quatre morceaux, Mr DJ s’occupe du double « Art of Story Tellin’ » et de « Ya’ll scared », Andre et Antwan composent donc huits morceaux. Parmi eux l’ultra funky et ultra suave « SpottieOttieDopaliscious » aux trompettes fanfaronnantes et à la vibe reggae. Un jam délicieux et irrésistible entrainant l’auditeur dans un marais mouvant dansant où Sleepy Brown, Andre 3000 et Big Boi aident tout juste à rejoindre la berge sèche. Les deux derniers morceaux allaient enfoncer le clou d'un spectacle déjà étincelant. « Liberation », en compagnie de Cee-Lo Green, Erykah Badu et du spoken word caverneux de Big Rube, est orchestré à la perfection. Piano, percussions, basses, chœurs, le sujet traité est lourd et l’héritage sudiste concernant l’esclavage encore plus, la musique met les frissons et fait plonger directement dans cette ambiance humide et pesante que l’on retrouvait sur « Soul Food » de Goodie Mob. Le morceau suivant « Chonkyfire » est un contre-pied total à ce blues sudiste. Les guitares électriques éclatent et les raps sont plus vifs, plus rapides. Au piano et au synthé, Marvin « Chanz » Parkman est un musicien de talent, l’ambiance est futuriste et proche d’une transe ultra-dimensionelle. Le refrain et le couplet de Andre est d’une flamboyance sans nom et Big Boi impressione une fois de plus dans son débit de rimes. OutKast livrait un dique d’une créativité artistique exemplaire, le troisième d’une série impeccable en l’espace de cinq années. Le groupe rentrait, après « ATLiens », encore un peu plus dans l’Histoire du rap.
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