LA PLAYLIST :
1952 en France. Une des premières chansons anti-police voit le jour. Inutile de vous dire qu’aucun rappeur n’en est à l’origine. Sur « Hécatombe », George Brassens montrait déjà la méfiance de la population auprès des forces de l’ordre avant de les tourner au ridicule sur une dernière sentence moqueuse. Le moustachu de Sète à la guitare et à la langue bien pendue ne sera pas le dernier chanteur à mettre les « cognes » au centre de ses couplets.
Les « cognes ». Le vieil argot français décrivait déjà la police par leurs manières de faire. Le temps n’a donc en rien changé les choses. En 2020, le constat est même cinglant : la situation ne s’est pas améliorée. Le nom de Georges Floyd se rajoute à une longue liste macabre aux Etats-Unis, et celui de Adama Traoré vient également grossir une liste similaire en France. Si dans la chanson de Georges Brassens, le ton est plutôt burlesque et tourne au ridicule les agents policiers, quelques vingtaines d’années plus tard, le timbre de voix se fait plus sérieux et plus grave. Issus de la communauté afro-américaine, Syl Johnson, Gil Scott Heron, Marvin Gaye mais encore bien d’autres artistes Soul lèveront le voile et la voix sur les traitements réservés aux noirs aux Etats-Unis, notamment dans la police et les administrations institutionnelles du pays.
Rebelote vingt ans plus tard, à l’aube des années quatre-vingt-dix, avec les raps frontaux de NWA ou plus politiques de Public Enemy. En 92, c’est un nouvel affront qui est fait à la communauté noire avec l’affaire Rodney King, du passage à tabac raciste de ce dernier par la police de Los Angeles au relâchement judiciaire des officiers concernés. Ice Cube lâchait alors sur la dernière ligne du troisième couplet de « Who got the camera ? » (issu de « The Predator ») un prophétique : « If the crowd wasn't around, they would've shot me / Tried to play me out like my name was Rodney / Fuckin police gettin badder / Cause if I had a camera, the shit wouldn't matter ».
Des violences policières en France ou aux USA, des injustices rendues officielles par des magistrats en France ou aux USA, face à toutes ces incohérences, il n’y a qu’un pas que les artistes choisissent de franchir. De façon frontale et fédératrice sur « Fuck le 17 » (2019) récemment chez 13 Block ou « FDT » (2016) chez YG et Nipsey Hussle. De manière plus subtile via un script parfait de La Rumeur sur « Je connais tes cauchemars »(2000), plus militante et sociale chez Gang Starr sur « Riot Akt »(2003) ou alors carrément révolutionnaire chez 2 Bal, Mystik et White & Spirit sur « La sédition »(1995), les artistes ne mâchent pas leur mots face à une situation devenue tendue, délicate et dont l’injustice s’ouvre, depuis l’ère des réseaux sociaux, aux yeux et aux oreilles de tous. Décrites avec plus ou moins de recul et à des échelles différentes, avec un degré de rage variable selon les angles d’attaque du sujet, parfois provocatrices (« Kisder » de Raggasonic, 1995) mais souvent justes (« S. Biko VS The State » de Joe Lucazz, 2018), ces chansons sont non seulement un constat d’urgence mais aussi un témoignage de l’époque. Elles sont aussi une soupape de sûreté et peuvent allumer la mèche d’un changement au niveau de ces violences et injustices qui durent depuis trop longtemps, dans une époque où même les Strange Fruits de Billie Holiday (chanson de 1939) réapparaissent sous les arbres de Californie.
« The thing that's going to change people
It's something that no one will be able to capture on film
It'll just be something that you see and all of a sudden you realize
"I'm on the wrong page"
Or, "I'm on the right page but I'm on the wrong note
And I've got to get in sync with everyone else to understand what's happening in this country. »
Gil Scott-Heron - 1991
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