LA PLAYLIST :
A la fin des années 90, le rap, par l'utilisation du sample, allait faire découvrir à toute une génération curieuse de friandises sonores, de grands classiques de la soul, du funk, parfois même de bandes originales de film. Une richesse musicale tissée par Dr Dre, DJ Premier, RZA, Pete Rock ou autres Hitmen outre-atlantique et par, plus proche de chez nous, DJ Mehdi, Djimi Finger ou encore Akhenaton (cette liste étant bien sûr non-exhaustive).
Un producteur allait cependant fouiller un peu plus loin que les bacs rayon soul/funk. Quand DJ Mehdi allait commencer un virage électro au crépuscule du deuxième album du 113 et au premier solo de Karlito (« 113 fout la merde » et « Contenu sous pression »), Pone, Guilhem Gallart pour l'état civil, allait chercher, sur "Mode de vie Béton Style » du Rat Luciano, des boucles plus new-wave, initiant quelque part le cloudrap avant l'heure, dans un répertoire de titres des années quatre-vingt, entre une funk tirant vers le disco, un rock soft et expérimental et un jazz atmosphérique.
En 2000, quand débarque sur les ondes de Skyrock la mélodie envoûtante de "Il est fou ce monde", Pone prend le courant mainstream à contre-pied, en allant digger un tube pop-rock de Cock Robin, très loin des artistes soul habituellement samplés.
Deux ans auparavant, en 1998, Pone sur le premier album explosif de la Fonky Family, installait déjà une atmosphère un peu différente de ce que la production rap proposait alors. Mais les samples de Alan Parsons Project sur un westerneux "Sans faire couler le sang", le jazz nocturne de Orient Express sur le classique "Cherche pas à comprendre" ou la très courte boucle expérimentale de CAN ("Unfinished") retravaillée pour "Verset VI" étaient ingénieusement mélangés aux échantillons de Isaac Hayes ("Marseille envahit"), Barry White ("Tu nous connais"), Al Wilson ("La furie et la foi") ou Minnie Riperton ("Le sum" et son brillant changement de beat de quelques secondes).
Pone se paye même le plaisir de sampler Charles Aznavour sur le triste "Aux absents". Il a même le luxe de devancer d’un an Dr Dre qui utilisera une autre chanson du grand Charles sur "What's the difference" sur son immense album à succès "2001". Ce ne sera d'ailleurs pas le seul sample de chanson française que le producteur français utilisera. Daniel Balavoine, Martin Circus, Francis Lai, même Amanda Lear, se rajouteront à la liste et feront peut-être de Pone le beatmaker ayant le plus échantillonné de musique de France malgré le slogan clamé haut et fort par son groupe : "Nique la musique de France".
En 1999, Pone poussera les limites encore plus loin. Une première fois avec le "Hors-série vol. 1" de la FF en samplant l'anthem du film "Scarface" de 1984 "Push it to the limit" pour en faire une sauvagerie découpée avec furie par les 4 mc's du groupe. Pour "Si je les avais écouté", il utilisera également un morceau de Electric Light Orchestra à la croisée des chemins entre soul et rock.
Limite poussée un peu plus loin sur le premier album du 113, où c'est cette fois dans le reggae qu'il puisera une boucle pourtant très électronique. Deux titres de "Cocody Rock" de Alpha Blondy se retrouveront au score tarantinesque de "Réservoir Drogues". Sur la compilation « Première Classe », il offrira une des productions les plus singulières de la compilation en manipulant un son que l’on retrouvait en 1990 sur « Manslaughter » de EPMD. Sat, Casey, La Brigade et Ritmo se succède sur « C’est quoi le dièse ? » et un sample de Love Unlimited Orchestra.
En 2000, sur l'album du Rat Luciano, il atteindra le sommet de cette expérience et expérimentation musicale. Outre le sample de Cock Robin, le producteur toulousain explorera une musique aérienne, volatile, quelque part un échappatoire au bitume sale des rues marseillaises pour en faire un album unique du rap français. Du jazz ambiant de Billy Cobham (le superbe et planant "Heather" déjà samplé, entre autres, par Souls of Mischief en 1993) sur "A bas les illusions", aux sons électroniques et espacés de Stone sur le rassembleur "Sacré", il y'a sur ce disque un son singulier qui le place, avec le recul, comme un ovni dans le son rap des années 2000. Seul le morceau titre échantillonnant chaleureusement Millie Jackson et son standard "If loving you is wrong" (qui sera également samplé par Djimi Finger quelques années plus tard avec cette fois-ci Lino et Calbo au micro) rattache quelque part l'œuvre du Rat, et de Pone, à l'esthétique musicale de l'époque. Pone y travaillera des boucles très courtes de Mike Oldfield pour en faire un étrange mais réussi "Rien n'est garanti", d'Eddy Murphy pour un routinier "On hait", de Pink Floyd ( là encore un très court passage ) pour en faire un diabolique "Infernal". Le coup de maître est peut-être à mettre sur le compte de "Nous contre eux" où il reprend un morceau aux teintes disco New Wave de Space. À moins que ce ne soit sur les vagues et la mélodie Twinpeaks-ienne de "Vie d'artiste" arrachés à l'introduction de "Just the way you like it" de SOS Band.
En 2001, la Fonky Family reviendra avec un deuxième album où Pone et Le Rat Luciano se partageront les consoles. Ce dernier ayant dû avoir pris soin d'observer Pone, il arrive à mimer et à faire autant bien que lui. Car si Pone est derrière les hits principaux de "Art de rue", Le Rat le talonne et produits des morceaux dans la même veine. Pour bien les différencier, il faut avoir un œil sur les crédits de l'album. Derrière "Art de Rue" et son sample de Rockwell, derrière "Mystère et suspense" et son sample de Toto, derrière "Tonight" et son sample de Kate Bush (le même qu'il réutilisera plus tard sur un album "hommage" à cette artiste), on retrouve bien Pone. Par contre, derrière le menaçant "Dans la légende" et son échantillon de "Tightrope" de Electric Light Orchestra", derrière le style flamboyant de "Filles, flics et descentes" et l'utilisation d'un morceau de Space (encore eux), et derrière le rythme entrainant de "Nique tout" et pour le coup un sample très disco de France Joli, c'est bien Christophe Carmona aka Le Rat qui est à l'œuvre.
Pone y signera également "On s'adapte" pour un solo de Sat qui peut faire penser à du cloud rap avant l'heure avec ces choeurs murmurés donnant l'impression de rider autour d'un nuage et du sample de Barclay James Harvest. La même impression que laissait "Derrière les apparences" du Rat un an plus tôt dont le sample, si il y a, reste encore inconnu.
L'oeuvre de Pone ne s'arrête pas là et continue chez KDD (« Ghetto Cocaïne »), chez Ghetto Diplomats (« Microphonik reurti »), chez Rohff (« Darwah »), Don Choa (« 7h00 du mat », «Nuit du Chasseur ») et Sat (« Réalise ») en solo par exemple.
Il a même récemment sorti deux projets. Le premier, "Kate & Me", évoqué un peu plus haut dans ces lignes est purement instrumental et composé exclusivement autour de samples de Kate Bush, une de ses plus grandes inspirations musicales. Le deuxième, "Vision", un EP en commun avec Karlito, le secret le mieux gardé de la Mafia k’1Fry, où la touche cloud rap est plus que jamais présente. Touchant et programmant des yeux des compositions toujours plus aériennes comme pour s’extirper de son lit d'hôpital et de la maladie de Charcot dont il a été touché dans les années 2010s, Pone s'offre une seconde vie, comme la musique qu'il aime encore triturer avec passion. La preuve, ce morceau "Luna", reprenant le "Mellow mood - pt.1" de Barry White, qu'il avait déjà utilisé en 1998 sur le tonitruant "Tu nous connais" de la Fonky Family.
Comments