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Jul2laVirgule

Full Clip 2010 - 2019, a decade of american rap (Part 2)

Dernière mise à jour : 27 déc. 2020

Note : cet article a été écrit en janvier 2020.



2015

Lupe Fiasco - Tetsuo & Youth Sortie en catimini, “Tetsuo & Youth” est le cinquième album du chicagoan Lupe Fiasco. Pochette d’une peinture abstraite faite par lui-même aux couleurs japonisantes, un titre rappelant le héros de l’anime culte “Akira”, Lupe Fiasco articule son projet autour d’une note orientale rafraichissante. Quatre interludes saisonniers installeront l’auditeur dans son fauteuil comme s’il allait assister aux meilleurs films de Miyazaki ou de Naomi Kawase. L’introduction « Summer » est un modèle de captage d’attention, Lupe instaure une ambiance paisible rappelant les baignades sans soucis de la jeunesse. Trois titres de plus de cinq minutes s’en suivront dont un « Blur My Hands » très réussi faisant penser à un morceau des derniers disques de The Roots. Une partition de violon jazz sur « Fall » viendra ponctuer la suite du projet et introduire un nouveau set de morceau que Lupe concluera par un « No Scratches » aux teintes glaciales et aériennes dignes d’un tube de Phil Collins. Transition parfaite aux vents stridents de l’interlude suivant « Winter ». Tout est dans le détail. Une tempête annoncée. Car après cet interlude givré, c’est un morceau de neuf minutes trente-deux secondes comme on en fait plus qui broiera l’auditeur. « Chopper » est un possee-cut sorti d’une autre dimension avec DJ Dahi en grand compositeur d’un enfer hypnotique et un Trae Tha Truth qui ne demandait pas mieux, grand vainqueur de cette folle litanie. « Tetsuo & Youth » se terminera sur « Spring », une touche verte de renaissance après ce set hivernal plus long qu’il n’aurait du être. Qu’importe, Lupe Fiasco livre un album magistral, pensé dans les moindres recoins. Difficilement accessible, « Tetsuo & Youth » est une pièce d’art, qu’il faudra cependant longtemps observé pour en apercevoir toutes les nuances. Quelque part, Lupe Fiasco a fait l’album de Kanye West que tout le monde attendait. Un truc baroque et complexe, élaboré finement d’une main de maître, et ce, dans l’indifférence générale.


King Kendrick Lamar N’y allons pas par quatre chemins, l’artiste de la décennie, c’est lui. 2011, premier album en indépendant : “Section 80.” 2012, premier album en major chez Aftermath/Interscope : “Good Kid M.a.a.d. City” 2015, second (ou troisième) album : “To Pimp A Butterfly” 2016, chutes de studio réunis sur un EP surprise : “Untitled Unmastered.” 2017, troisième (ou quatrième) album : “Damn.” 2018, bande originale du blockbuster Marvel “Black Panther”. La chronologie discographique de Kendrick Lamar tient du grand chelem. Le prodige de Compton est âgé de vingt-cinq ans à la sortie de son premier gros coup en 2012. Il était déjà au top. Il a quand même réussi à faire mieux avec les projets suivants. Si en 2011, “Section 80” avait tout d’un premier album réussi avec des classics comme “Rigamortis”, “Keisha’s Song”, “HiiiPower” dans ses rangs, Kendrick restait encore dans un semi-anonymat qui allait voler une première fois en éclat avec “Good Kid M.a.a.d City”. L’usage qu’il y ait toute une vie dans un premier album est parfaitement résumé dans ce premier album pensé comme un film. « Art of Peer Pressure », « Money Trees », « M.a.a.d. City » ou encore le diptyque « Sing about me, I’m dying of thirst », son premier album en major cartonne et devient un modèle comme a pu l’être « Illmatic » dans les années quatre-vingt dix. Trois ans plus tard, ayant bien laissé le public digéré ce coup de maître, Kendrick Lamar va réitérer l’exploit en évitant le piège de « l’album après le classic ». Le natif de Compton redistribue les cartes en changeant son jeu. Toujours très conceptualisé, peut-être encore plus que le précédent, « To Pimp a Butterfly » joue dans l’héritage culturel afro-américain en piochant majoritairement dans le jazz, mais aussi dans le funk et la soul mais surtout Kendrick va inscrire son disque dans l’Histoire en prenant, indirectement, part aux luttes sociales qui secouent les USA avec les bavures policières, les incompréhensions judiciaires et les injustices raciales. Le mouvement Black Lives Matter reprendra avec entrain son « Alright » lors de manifestations aux quatre coins du pays. Le clip réalisé par The Little Homies (dont Kendrick fait partie) est d’une esthétique époustouflante en noir et blanc et la production de Pharell Williams est enjouée comme jamais. “Alright” n’est évidemment pas le seul coup d’éclat de cette œuvre complexe. L’introduction « Wesley’s Theory » tire sur l’administration fiscale américaine en jouant de grosses mécaniques G-Funk que l’on retrouvera un peu plus tard sur « King Kunta ». « Institutionalized » est un petit bijou de récit laidback en compagnie de Snoop Dogg, « These Walls » est un jam smooth et funky comme ce « Complexion » en très bonne compagnie de Rapsody. « Hood Politics » fera écho à la superbe pochette de l’album voyant le voisinage de Kendrick assommer un haut fonctionnaire devant la Maison Blanche. La même maison par l’intermédiaire de Barack Obama saluera le projet en citant « How much a dollar cost » comme son morceau favori. « I » sur un sample des Isley Brothers fera écho au torturé jazz de « U » comme un ying yang perpétuel dans l’esprit gémeaux de son interprète. « The Blacker The Berry » sera une petite bombe agressive rappelant que Kendrick reste toujours roi de ce rap jeu. Bref, « To Pimp a butterfly » est une œuvre majeure de son époque qui monte encore d’un cran l’impact de l’artiste qui participera à « Compton » de Dr Dre un peu plus tard dans l’année. Et comme si ça ne suffisait pas, la principale égérie de TDE sortira au printemps suivant des « chutes » de studio de cet album (entre autre) sur l’EP surprise « Untitled unmastered.» qui a des airs de boeuf jazz entre musiciens autour du feu. En 2017, Kendrick changera une nouvelle fois la donne sur son album le plus introspectif « Damn. ». Plus court, plus réduit, mais encore une fois très intense, Lamar montre, comme si c’était possible, qu’il peut encore mieux faire. Mike Will Made It lui fournira deux productions tonitruantes où Kendrick rappera comme un forcené, les incroyables « DNA » et « Humble ». Cette même année 2017, le rappeur recevra même le prix Pulitzer, une première pour un artiste rap inscrivant ce genre musical à côté du classique et du jazz parmi ses lauréats. Enfin, pour courronner le tout, Kendrick composera la bande originale et inspirée du blockbuster Marvel « Black Panther » conviant rappeurs du label Top Dawg, mais aussi 2 Chainz, SOB X RBE, Anderson .Paak, Swae Lee, Jorja Smith, Future, Travis Scott, Mozzy ou encore James Blake. N’en rajoutez plus, la coupe est pleine. Kendrick est sûrement devenu en une dizaine d’années, et à trente-deux ans aujourd’hui, l’artiste le plus marquant de l’Histoire du rap. Car au crépuscule de cette décennie 2010, avec quatre albums classics consécutifs, une question se pose : Qui, en tant qu’artiste solo, peut prétendre faire mieux ?


Compton Il y a des artistes qui sortent un projet tous les ans. Il y a ceux qui sortent un projet toutes les décennies. « The Chronic » marquera les années 90 par son g-funk et un gangsta rap qu’il déclinera encore avec Snoop Dogg sur « Doggy Style ». « 2001 » même s’il sort en 1999 va modifier complétement le son des années 2000. Sur Aftermath, il signera en plus Eminem, puis 50 Cent, puis The Game. Il, c’est Andre Young, globalement plus connu sous le pseudonyme de Dr Dre. En perte de vitesse au début des années 2010, la sortie d’un hypothétique « Detox » fait, encore maintenant, figure de légende urbaine. Pourtant d’après les dires de plusieurs artistes, producteurs ou rappeurs, l’album serait prêt. Mais Andre n’a jamais voulu sortir l’arlésienne annoncée. Dr Dre va tout de même faire quelques mouvements qui vont lui permettre de rester plus que jamais dans la course. En 2012, il signe Kendrick Lamar chez Aftermath/Interscope. En 2014, fort de la vente de ses casques “Beat by Dre” chez Apple, Dr Dre devient un des premiers artistes rap multimillionnaires. En 2015, il produira son troisième album annoncé en dernière minute inspiré par le film « Straight Outta Compton », biopic résumant le parcours de NWA. Intitulé sobrement « Compton », Dr Dre va aligner un casting quatre étoiles comme il l’a fait auparavant sur « The Chronic » et « 2001 ». S’il a mis à vue Snoop Dogg et Eminem sur ses deux précédents albums, il présente ici à nouveau un californien qui va marquer son époque par son groove, sa voix et son charisme détendu : Anderson .Paak. Lui et Kendrick Lamar sont les nouvelles têtes d’affiche de ce blockbuster, substitut brillant du mystèrieux « Detox ». Les deux sont présents sur sept des seize titres de l’album. On retrouve également les anciens venus prêter main forte dont Snoop Dogg, Ice Cube, Xzibit, The Game et Eminem. L’album laissera moins de marque que ses deux précédents opus mais la qualité est au rendez-vous. Les six premiers titres sont une déferlante alternant grosses frappes (« Talk about it », « Genocide ») et sucreries californiennes sur lesquels brillent BJ The Chicago Kid et Anderson .Paak (« It’s All on me », « All in a day’s work »), se concluant par « Gone » où Kendrick Lamar donnera à un piano-batterie un troisième élément de rythmique par son flow magistral. Autres morceaux marquants : ce « Deep Water » aux filtres et à la production subaquatique proche de la noyade et un trio légendaire sur « Animals » qui combinera à la voix douce et éraillée de .Paak la première collaboration entre deux icônes de la production rap : Dre et DJ Premier. Tout le long de l’album, Dre a attrapé les subtilités de la production des années 2010, incluant ces roulements secs de batterie trap, pour les mélanger à sa recette, son mix mais aussi une équipe de producteurs de luxe : Focus, DJ Dahi, Dem Jointz, Bink!, DJ Khalil et Cardiak entre autres. « Compton » est une réussite devant et derrière les machines. Dr Dre en profitera bien évidemment pour prendre Anderson .Paak sous son aile et le signer sur son label quelques mois plus tard. En 2017, Dr Dre inscrira encore un peu plus son nom dans la légende avec le documentaire en quatre épisodes « The Defiant Ones » retraçant son parcours au sein de NWA, Death Row, puis Aftermath et Interscope en compagnie de Jimmy Iovine.



2016


2016 a été une grosse année pour la musique US, notamment la soul avec les albums de Solange Knowles “A seat at the table” et de Childish Gambino “Awaken, my love!”. Elle l'a été aussi pour le rap US avec le retour en grâce d'A Tribe Called Quest, le joli long format de Isaiah Rashad, le tout aussi joli moyen format de Kamaiyah ou le faux californien “Big Bossin' vol. 1” de Cardo et Payroll Giovanni. La Californie grande gagnante de cette année puisqu'en trois albums, elle sera déclinée en autant de facettes et de façons bien différentes et pourtant toutes représentatives d'un état plus qu'important pour le rap et, dit plus vulgairement, la "culture urbaine". Malibu - Anderson .Paak Arrivé en 2014 avec un album éclectique et passé un peu inaperçu, Anderson .Paak avait déjà ce charisme hyper cool et mélangeait sur « Venice » musiques électroniques, rap et chant avec un groove funky et joyeux. En 2015, Dr Dre en fera sur « Compton », à côté de Kendrick Lamar, sa nouvelle coqueluche comme il avait pu le faire pour Snoop sur « The Chronic » ou pour Eminem sur « 2001 ». Fort de ce coup de pouce, le chanteur-batteur sort dans le froid de janvier un album qui sent la douceur et la légèreté estivale des spots de surf de Rincon et de Malibu. Ponctué d'interludes de radios, films et documentaires surf (la voix de Wolfman Jack, des extraits de« Big Wednesday », « Pacific Vibrations » et « Riding Giants »), Malibu est un bijou de groove-soul où Anderson joue les Miki Dora d'un flow libre et funambule et sert ses morceaux comme des coupes de champagnes. Un pied sur le kick, une main sur la snare, une voix et des intonations James Brownesques, impossible de ne pas tomber sous le charme. “Malibu” est un album magnifique qui sans aucune prétention mais avec une prestance incroyable laisse toute la place à un groove comme on a rarement eu l'occasion d'en contempler ces dernières années. Une année 2016 marquante pour .Paak pusiqu’il sortira également sous le nom de NxWorries un « Yes Lawd !», aussi cri de guerre du monsieur, tout aussi brillant entièrement produit par Knxledge. Son interprète essaiera de relancer la machine sur « Oxnard » annoncé en grandes pompes en 2018 sans arriver à atteindre la parfaite légèreté de ce « Malibu ». En 2019, « Ventura » viendra compléter avec brio une oeuvre que le prodige de trente-trois ans semble tout juste commencer.


Still Brazy - YG L'asphalte hurlante. Le sobriquet du premier album de La Caution va comme un gant pour évoquer le deuxième album, après un déjà excellent « My Krazy Life » en 2014, de YG. Sur une pochette rouge représentant son affiliation aux bloods mais aussi à l'urgence et la fournaise qui émane de cet opus, le rappeur de « Bompton » apparaît flouté comme pour ne pas se mettre en avant dans un contexte de paranoïa et de mise au point politico-sociale. Après un premier album produit en grande majorité par DJ Mustard, et suite à quelques petites embrouilles entre eux, YG fait appel à DJ Swish et l'équipe de 1500 or Nothin' mais aussi Terrace Martin pour pondre un album aux sonorités sèches, abrasives et terriblement g-funk. S'ouvrant sur fond de polémique sur "Dont Come to LA" et "Who shot ya", YG y témoigne de l'épisode violent dont il a failli être victime lors d'une fusillade devant son studio d'enregistrement. Passé cette introduction, YG reprend de plus belle avec un milieu d'album diablement efficace avec un moqueur "Gimme got shot" en solo, "Why you Always hatin'?" en compagnie de Drake et de Kamaiyah, et "Questions" avec Lil Wayne. YG terminera cet album par un enchaînement en trois coups digne d'un brûlot d'Ice Cube période « Death Certificate ». Un salvateur "FDT", suivi d'un rassembleur "Black & Browns", courronné d'un "Police Get Away with murder" malheureusement beaucoup trop d'actualité. YG offre lui aussi un album magique, à la croisée d'un « 2001 » de Dre, d'un « Predator » de Cube et d'un « Shock of The Hour » de MC Ren. En somme, le meilleur gangsta rap et g-funk des années 2010's.


Blankface LP - ScHoolboy Q Si « Still Brazy » de YG avec « Get Home Safely » de Dom Kennedy et « Victory Lap » de Nipsey Hussle peuvent former une sorte de « 2001 » des années 2010's, ce « Blankface LP » avec « Malibu » d' Anderson .Paak et « Scum Fuck Flower Boy » de Tyler The Creator peuvent constituer une sorte de trilogie orange et psychédélique d'une Californie sous trip de la dernière décennie. Conviant par ailleurs Anderson sur deux morceaux et notamment sur l'intro tonitruante aux guitares rock, ScHoolboy Q livre ici son meilleur album entre l'inégal « Oxymoron » en 2013 et l'addictif « Crash Tallk » en 2019. Un voyage acidulé dans l'esprit de Quincy Matthew Hanley avec des montées très acides sur le meilleur featuring de Kanye West de la décennie (“That Part”), très funeste sur cette descente aux enfers en compagnie de Vince Staples qui prolonge son « Hell Can Wait » de 2014 (“Ride Out”), très classe dans un "John Muir" au clip first-person-shooter plus que réussi ou très New-Yorkais dans un "Tookie Knows Pt. 2" à la boucle de piano Mobb Deepienne. Blank Face LP est un album complet où le calme côtoie l'orage dans un tableau multi-colore enfumé. ScHoolboy Q y montre qu'il est un des rappeurs les plus doués de sa génération et que quand il concentre son énergie et son talent, il peut faire aussi bien sinon mieux que son camarade Kendrick.



2017


2 Chainz, Tonton Trap Parmi les rappeurs actuels qui dégagent le plus d'aisance au micro, Tauheed Epps figure forcément en haut de la liste. Son flow tout-terrain régale de plus belle sur cet album à la pochette d'un rose pastel digne d'un alléchant bonbon acidulé. "Pretty girls like Trap music", son troisième album solo en six ans après un très bon "Collegrove" en collaboration avec Lil Wayne en 2016, a des airs de best of. A l'aise sur tout type de sonorités, l'ex-Tity Boy a définitivement changé de statut et démontre qu'il fait partie de l'élite des rappeurs avec ce flow qui colle aux productions pourtant variées de Mike Will Made It, Mike Dean, Buddah Bless ou autres Honorable C Note. Celui qui par ses featurings éclipse souvent ses hôtes ( "Capitol" chez Currensy ou encore "What they want" chez ScHoolboy Q") brille de mille grillz sur cet album sans véritable ligne directrice si ce n'est la prestance du monsieur. Déjà d'attaque sur les marécageux "Saturday night" et "Riverdale", 2 Chainz va s'envoler sur un piano de Mike Dean bien accompagné par Gucci Mane et Quavo tout aussi flamboyants sur “Good drank”, puis sur l'entraînant "4am" avec Travis Scott cette fois-ci. La suite du projet restera dans ces mêmes niveaux stratosphériques culminant sur un "Poor fool" au refrain entêtant de Swae Lee et un Mike Will aux manettes d'une production paraissant tout droit sorti d'une boutique vaudou du bayou où la mère de Tity Boy distille de précieux conseils. Productions traps obscures ("Sleep when you die", "Trap check") ou écrins luxueux ("Rolls Royce Bitch", "Burglar Bars"), 2 Chainz fête ses quarantes berges comme un tonton flingueur habillé en prince. Un charisme proclamé par Louis Farrakhan en fin d'album qu'il n'aura pas volé et qu'il remettra à profit en 2019 sur son quatrième album solo "Rap or go to the league" toujours rappé avec le même talent.


Tyler, le Créateur Créateur n'est pas un surnom usurpé pour Tyler Okonma. Dans le livret de "Scum Fuck Flower Boy", vous retrouverez son nom crédité sur presque tous les crédits du projet. Rap, production, illustration et même un bête d’album photo avorté car “les agents du photographe ou qui putain que ce soit ont dit que c’était pas possible”. Dans son quatrième album comme dans son entière discographie, le ton est burlesque et provocant. Sauf que Tyler franchit un cap sur cet album dont la consistance manquait à ses œuvres précédentes. "Flower Boy" est d'une introspection et d'une sincérité rare qui fait un bien fou au milieu des grosses mécaniques présentes et, surtout trop représentées, du rap. Il est aussi magnifiquement produit par son interprète, fourmillant de détails, et brillant par sa non-linéarité. Cette alchimie entre le fond et la forme font de cet album une pièce originale sortant des sentiers battus. Un sentier automnal et champêtre genre Tyler au Pays des Merveilles assumant après quelques projets bancaux sa bisexualité ouvertement sur des morceaux magiques tels que "Garden Shed". "Flower Boy" fait un pied de nez magistral aux critiques qui le traitaient d'homophobe pour ses lyrics crus dans ses précédentes oeuvres. Ou alors, il y a encore cette possibilité que tout cela ne soit encore qu’une grosse blague. Tyler livre un album personnel dont certaines productions étaient paradoxalement destinés à d'autres artistes tels que Kanye West, Nicki Minaj ( I" ain't got time” décliné deux fois), Justin Bieber ("Glitter"), Zayn Malik de One Direction ("See you again") ou ScHoolboy Q ("Who dat boy"). Tyler invite discrètement des artistes tout aussi éclectiques (sans ordre d'apparition ASAP Rocky, Frank Ocean, Kali Uchis, Steve Lacy, Estelle, Jaden Smith ou Rex Orange Country) qui se mettent au diapason de cet album majeur qui marque la décennie par sa singularité, sa production unique et soignée et son univers décalé. Une parfaite réussite qui sera suivie deux ans plus tard par un "Igor" tout aussi original.


Pee Que dire ? Le meilleur de tous les temps ? Pour nombre de rappeurs en tout cas, Albert Johnson, beaucoup plus connu sous le nom de Prodigy, devait s'en rapprocher. Rien qu'en France, en passant par Lino, Le Rat Luciano ou Booba période Lunatic - Temps Mort, son influence était une des plus grandes et des plus subtiles entre 1995 et le début des années 2000. En 1995 Mobb Deep sortait " The Infamous". Parmi le tracklisting légendaire figurait deux morceaux qui allait marquer par leur noirceur : "Survival of the fittest" et "Shook Ones part 2". C'était déjà assez pour toucher l'éternité. 1996, "Hell on earth" enfonce le clou, le deuxième album du duo est un pavé de rap crade marqué par le sceau de Havoc et Prodigy et celui de Queensbridge. 1999, "Murda Muzik" allait encore marquer les esprits avec des morceaux suffocants et introduire, en plus de Havoc, un autre génie des machines : Alchemist, qui allait offrir à Pee un deuxième souffle dans les années 2000. D'autres classics sont à inscrire au compte de Prodigy : un couplet, encore de légende, sur le remix de " I shot ya" de LL Cool J introduisant ce côté conspirationniste qu'il développera à plein poumons sur "HNIC 2". "Genesis", "Keep it thoro", "Trials of love", "Veterans Memorial", "Diamond", "You can never feel my pain". C'était sur "HNIC" en 2000 et cette douleur que personne ne pourrait jamais sentir, c'était cette ombre noire qui planait sur l'âme de Prodigy : une maladie dégénérative des cellules du sang qui le hante depuis son plus jeune âge, la drépanocytose. Le jeune Albert Johnson grandit dans une famille de musiciens jazz. Enfant, son père le kidnappe et le laisse dans la voiture alors qu'il part braquer une bijouterie. Adolescent, il rencontrera Havoc dans une école d'art et de de design de Manhattan avec qui il formera Mobb Deep. Dans le parcours du groupe, Pee connaîtra plusieurs embrouilles avec des artistes proches comme Capone-N-Noreaga, Keith Murray ou Saigon. Des embrouilles qui ne dureront jamais longtemps et qui seront souvent entérinées. Son timbre de voix et son flow reconnaissable entre milles fera des merveilles sur les productions de Havoc puis de Alchemist. Prodigy et Alchemist sortent une mixtape de luxe aussi consistante qu'un album en 2007 intitulé "Return of the Mac" sur une bande- son soul blaxploitation où les rimes de Pee résonnent comme une pluie de balles au-dessus de New-York. Le clip de "Mac 10 Handle" donnera à Pee un nouvel élan après s'être un peu essoufflé chez G-Unit. L'année suivante, il sera l'artiste principal (autour de Big Twins et Un Pacino) d'un brûlant "Product of the 80's" produit par un Sid Roams bien inspiré. Après un aller-retour en prison de 2009 à 2011 pour possession illégale d'armes à feu, il sortira un sobre " The Bumpy Johnson's Album" où quelques morceaux de bravoure sont à noter comme ce "Stronger" au clair de lune derrière un sample de Nina Simone. En 2013, après avoir clôturé sa trilogie « HNIC », il refait affaire avec Alchemist le temps d'un album : un brillant "Albert Einstein" aux sonorités plus modernes que leur premier album. L'image laissé par Prodigy en ce milieu de décennie est celle d'un prophète de la rue, celles des rues sales et sans espoirs du QB. Une image sainte l'entoure enveloppé d'une mystérieuse aura conspirationniste illuminati. Il devient une figure sacrée d’un rap sans concession, toujours au plus proche du bitume noir et de ses aspérités. Un aspect qu'il développera sur son dernier souffle artistique un "Hegelian dialectic The Book of Revelation". L'album, moins percutant que ses précédentes sorties, est un album d'un rappeur de quarante-deux ans. Calme et posé, Pee finit d'assoir cette réputation d'ange de la mort en récitant des versets antisystème sur cet opus noir qu'il clôturera par un "Hunger Pangs" aux allures de comptines d'enfants. Quelques mois plus tard, le 20 juin 2017, Prodigy partira finalement fatigué de sa maladie étouffé par un oeuf. Il laissera derrière lui une trace indélébile et demeurera comme une icône du rap new-yorkais. Un rappeur loin des strass et des paillettes avec la vérité de la rue comme seul échappatoire. Une tête brûlée, un écorché vif qui lâchera sur son dernier couplet en compagnie de Raekwon et AZ : "Yeah, high-profile life, my verse is a gift from the Most High You should thank God for my rhymes". Alors oui merci dieu, mais surtout merci Pee pour l’attitude, pour la musique et toutes ces rimes inoubliables. « There’s a war goin’ on outside. No man is safe from ».



2018


Nipsey Hussle, The Marathon Continues " Les mauvais rappeurs survivent. Les bons rappeurs meurent. [...] Nipsey est mort." Lino avec son franc-parler de briscard sur le plateau de Mehdi Maïzi ne pouvait pas mieux résumer la situation. Le 31 mars 2019, Nipsey Hussle s'est éteint après avoir été touché plusieurs fois au thorax sous les balles de son assassin devant son magasin de vêtements. Tout ce qu'a accompli Nipsey Hussle de son vivant est un modèle d'exemplarité. Que ce soit dans sa communauté de Crenshaw et Slauson, dans ses entreprises, ou son parcours artistique, Ermias Ashgedom inspire le respect. "Victory Lap" en 2018 allait être son plus beau run et une étape pivot de son Marathon. Il sera funestement son étape finale. Après une série de mixtapes « Bullets ain’t got no name », après « TMC », après « Crenshaw », « Mailbox Money » et « Slauson Boy 2 », Nipsey Hussle livre enfin l'album annoncé depuis presque dix ans. Un long chemin parcouru par le rappeur de trente-deux ans pour délivrer un disque à la hauteur de l'attente et en tirer tous les profits en possédant ses masters. Un travail de fond qui aboutit à une oeuvre magistrale. Le disque fourmille de leçons qui résonnent encore plus maintenant que son auteur est parti. Du "Tookie Williams sur du Coltrane", une musique forte, racée et inspirante émane de ce tour de victoire sans aucun temps mort. Le duo Mike-N-Keys chapeaute l'album avec des productions clinquantes à commencer par ce "Victory Lap", introduction époustouflante résumant d'une manière scintillante le parcours et l'état d'esprit de Nipsey. Un marathon fort de titres marquants : "Young n#&*@'s" hosté par Diddy comme aux meilleures années de Bad Boy Records, un puissant et fort "Dedication" en featuring avec Kendrick Lamar, un crépusculaire "Blue Laces 2" somptueux sur un sample de Willie Hutch, un "Hussle & Motivate" percutant reprenant la boucle de "Hard Knock Life" de Jay-Z. Cet enchaînement de quatre morceaux montre également l'attachement de Nipsey à la culture et à l'histoire du rap et plus largement à la musique noire. Nipsey, grand amateur de la music "quiet storm" de Sade (il la samplera en la plaçant en featuring sur "If u were mine" sur "Crenshaw"), est une "Bullet Proof Soul", morceau de la chanteuse qu'il citera dans les premières lignes de “Victory Lap”. Une âme à l'épreuve des balles. Malgré son décès, sa musique et son discours durera dans le temps car ils sont une inspiration. Malheureusement, sa mort vérifie l'adage voulant que "Les meilleurs partent les premiers". Et, aussi confus que le peut-être un autre adage, et aussi libre à interprétations, "les premiers seront les derniers." RIP.


Roc Marciano

Un autre marathonien de cette décennie. Avec « Marcberg » en 2010, « Reloaded » en 2012, « Marci Beaucoup » en 2013, « Rosebudd's Revenge » en fin d'année 2017, Roc Marciano fournira une cuvée 2018 remplie à ras bord. « Rosebudd's Revenge The Bitter Dose » en début d'année, « Behold a Dark Horse » en milieu et « KAOS », en collaboration avec le revenant DJ Muggs, en fin d'année ont comblé un silence de presque quatre ans, entre 2014 et fin 2017, chez Rakeem Calief Meyer. Le rappeur-producteur de Long Island a mis les bouchées triples et reste d'une cohésion toute nonchalante, avec boucles de souls et des narrations criminelles rappelant parfois les échappées mafieuses du Wu-Tang au milieu des années quatre-vingt-dix. Car si Marciano a grandi au sein du Flipmode Squad de Busta Rhymes, depuis son premier solo, en indépendant, « Marcberg », il navigue dans un univers sombre digne de polar noir, décrivant ventes et actions illégales d’une voix presque murmurée, la main sur la bouche, comme un affranchi avisé. Sur « RR2 The Bitter Dose », l'ambiance oscille entre un polar de John Woo ( la production de "Saks fifth ) et une blaxploitation poussiéreuse, piochant dans le gospel pour une outro en expiation sur "Power" ou dans des bruitages rusés sur "Bed Spring King". L'album reste un de ses plus beaux exercices. "Behold a Dark Horse" en dépit de ce titre et de cette pochette ténébreuse magnifique est peut-être le plus scintillant de tous ses disques à l'image de cette montée de cordes sur "The Horse's Mouth". Quant à "KAOS", en plus de remettre DJ Muggs sur la piste, Roc Marciano y est un peu plus rugueux qu'à l'accoutumée à l'exception d'un moelleux "Shit I'm on" au piano délicieux. Tout est en petites nuances mais le tableau dressé par Marci est du même ton : une teinte chaude et rétro d’un goût exquis comme ces meilleurs plats en sauce qui ont mijotés pendant des heures. Marci remettra le couvert en 2019 avec « Marcielago » toujours avec la même maîtrise de la boucle. Avec l’équipe de Griselda (Conway The Machine, Westside Gunn, Benny The Butcher et le producteur Daringer), il sera le garant d’un rap de tradition new-yorkaise de rues froides, sales et pas trop fréquentables.


Jay Rock Le 15 février 2016, Jay Rock subissait un grave accident de moto. Plusieurs os cassés et contusions mais Johnny Reed Mc Kinzie est solide. Deux années plus tard, "Redemption" allait être son opus le plus définitif, celui qui mettra tout le monde d'accord. " Follow me home" en 2011 et "90059" en 2015 étaient déjà très bons mais il leur manquait une étincelle, une constance sur la longueur d'un long format qui ne fera pas défaut à ce troisième solo. Rempli de gimmicks et de refrains efficaces, la prestation du rappeur de Watts est ici impeccable. Moins boursouflé que sur "90059" et plus concentré que sur "Follow me home", Rock livre son album le plus juste, inscrit dans sa communauté et dans un son West Coast qui tape. "Tap Out" est un banger démoniaque tout comme la déferlante de "King's Dead" où Rock crache un couplet en apesanteur entouré des deux rappeurs les plus importants de la décennie Kendrick et Future. "Rotation 112th", "Knock it off" sont d'autres tubes du même acabit. Mais Jay Rock sait donner aussi dans des morceaux plus down tempo comme sur la production sublime de Cardo sur "Troopers" ou sur le météore "ES Tales" produit par Teddy Walton. Un album où rien n'est à retirer donc, un condensé parfait de ce que Jay Rock fait de mieux, toujours appuyé par le label TDE et un Kendrick Lamar qui ne devait pas être très loin lors de la conception de cet album puisqu'il est présent sur trois morceaux. La promotion de ce projet a été très prise au sérieux par le label, un documentaire en trois parties en guise de making-of précédera pas moins de sept clips sur les treize morceaux originaux de l'album. Un win-win pour Jay et son label TDE.



2019


Freddie Gibbs et Madlib, Bandana.

“He’s the DJ, I’m the Rapper.” La formule de DJ Jazzy Jeff et The Fresh Prince est de 1988. Vingt-neuf ans plus tard, peut-être l’âge moyen des auditeurs rap, la formule est remise au goût du jour par un rappeur de trente-sept ans et un producteur de quarante-six ans. Des artistes ayant roulé leur bosse donc. Pourtant il suffit de regarder le Boiler Room filmé à Londres avec les deux bougs le 20 août 2019 pour se rendre compte du feu livré par ces deux « anciens ». Le concert est une apothéose de style et une performance incroyable de hip-hop. Un Maître de Cérémonie, un DJ donnent une leçon de maîtrise ramenant le rap à ses premières heures dans sa forme la plus brute. Samples savamment blendés par Otis Jackson aka Madlib, the Loop Digga, et raps ouvertement provocateurs (“Fuck Poooliiice ») récité d’un flow versatile avec une technique monstre. En somme Freddie Gibbs et Madlib livrent une version 3.0 de l’essence même du rap. « Bandana » est la suite de « Piñata », projet brillant mais plus linéaire du duo en 2014. Il est l’album qui suit « Shadow of a doubt », album noir et déjà très marquant de Freddie en 2015, une arrestation improbable en France du rappeur de Gary (Indiana) suite à une plainte pour viol, un acquittement lors du jugement prononcé en Autriche en 2016, un EP salutaire et redoutable « You Only live twice » en 2017, puis deux autres EP en 2018 « Freddie » et « Fetti » en collaboration avec Curren$y et Alchemist. Fredrick Tipton n’a pas eu le temps de souffler. « Bandana » vient couronner une décennie rondement menée malgré cet épisode judiciaire qui a marqué le rappeur. Freddie sait qu’il revient de loin et ne tait pas ses émotions lors de la promotion de l’album. Un album où le rappeur montre une habilité hors norme dans le débit et le contenu de ses paroles. Les rares invités sont triés sur le volet. Avec Killer Mike au refrain et Pusha T à la conclusion sur « Palmolive », ils forment un super groupe façon Goodfellas où Killer Mike tient le rôle de De Niro après le gros coup. Anderson. Paak au refrain de « Giannis », ainsi que Mos Def et Black Thought complètent cette liste courte mais précieuse. Freddie, en fin gourmet et connaisseur de bons plans, livre son opus magnum avec une classe étincelante mise en avant par les productions savoureuses de Madlib. Les choses ont été faites proprement : tous les samples sont clearés, la pochette est une des plus belles de la décennie, et le one-man show du MC est époustouflant. A travers les clips du projet, Freddie Gibbs fait preuve d’un talent de comédien digne d’un Dave Chapelle, des chevaux rayés de « Crime Pays » au pastiche disco-soul de « Gat Damn », en passant par le 2029 burlesque de « Half Manne Half Cocaine ». « Bandana » est une pièce d’orfèvres parfumée de cette saveur soul à classer quelque part entre un rugueux « Daily Operation » de Gang Starr et l’OST de « Jackie Brown » de Tarantino. Là, dans la tire brillante de Robert Forster qui attend Pam Grier, à côté de la cassette des Delfonics.


Big Krit, King Remembered In Time Un Roi dont on se rappellera plus tard. Big Krit a vécu une décennie passée à l’ombre du succès mainstream. Pourtant les efforts et les œuvres fournis par Justin Scott mériteraient beaucoup plus de lumière. « Live from the underground » en 2012, « Forever is a mighty long time” en 2017 et “KRIT iz Here” en 2019 sont trois albums majeurs du rappeur-producteur de Meridian (Mississippi) qui n’ont pas eu l’exposition qu’ils méritent. Big KRIT est un artiste complet dont l’héritage s’inscrit dans la lignée de grands noms du Sud. OutKast, UGK, Goodie Mob, 8Ball & MJG, David Banner, les influences de Krizzle sont régionales et cela se sent dans sa musique. En 2012, sur « Praying Man » se trouve la légende BB King en featuring pour un story-telling nocturne remarquable. Le sens du détail dans la production, un jeu de basses exceptionnel, des éléments de blues, de soul, Krit part sur de très bonnes bases et va étoffer son jeu en avançant dans la décennie. Sur « Mt Olympus » en 2014, le rappeur de la campagne va mettre les points sur les i et donner la meilleure réponse au couplet de « Control » de Kendrick Lamar. Un morceau qui annonçait le meilleur pour son album suivant « Cadillactica » en 2015. Pourtant Krit manque le coche et ne transforme pas l’essai malgré un album plutôt bon. En 2017, il sort « Forever is a mighty long time » dans un anonymat sidérant. Un double album en deux parties. La première gardant ce côté rap régional avec une ode à Juvenile, Mannie Fresh et Lil Wayne sur « 1999 », un hommage à UGK et Pimp C sur « Ride Wit Me », et un morceau subaquatique digne d’ « Aquemini » en compagnie de Cee-Lo Green et Sleepy Brown. La deuxième partie, la plus époustouflante, est complètement orienté soul et rythm’n’blues. S’ouvrant sur un instrumental sublime de DJ Khalil, Krit touche au gospel énergique sur « Keep the devil Off », retouche à un riff de guitare sur « Miss Georgia » faisant penser encore une fois aux productions country-rap proposés par Andre 3000 sur « The Love Below » et livre sur « Drinking sessions » et un piano écorché orné de cuivres solennels un texte profond et une prestation poignante. Le mississippien fait du country rap tunes comme personne depuis Pimp C, inscrivant son rap dans la musique transpirante et besogneuse du Sud des Etats-Unis. Sur « K.R.I.T. Iz Here » en 2019, Big Krit ne touche plus aux productions en laissant à d’autres producteurs (DJ Khalil, Tae Beast, Danja, Rico Love, DJ Camper…) le soin de s’en occuper. Pourtant, le rappeur-producteur ne devait pas être très loin tant les compositions sonnent comme siennes. Peu importe, Krit est en pilotage automatique et laisse son flow couler sur les dix-neuf pistes prenant le soin de clôturer sur un « M.I.S.S.I.S.S.I.P.P.I » évidemment rassembleur et forcément local. Car KRIT a un pied dans le rap et l’autre dans le blues, une main sur le micro et une autre sur les machines. Ancré dans le sud et la tête dans les étoiles. Et il est doué dans ces six univers. Une étoile filante qui, pourtant, à chaque passage, passe inaperçue.


Danny Brown, le stand-up et Q-Tip Que donnerait un one-man show de rappeur ? Ces dernières années, plusieurs samples extraits de comédiens sont apparus au détour, en introduction ou en fin de morceau. Exemples : George Carlin chez Czarface (« World War 4 », 2014), Richard Pryor chez J Cole (“Brackets”, 2018), Rodney Dangerfield chez Anderson .Paak (“Trippy”, 2018), Dap “Sugar” Willie chez Freddie Gibbs et Madlib (“Palmolive”, 2019). Avec la démocratisation des stand-ups sur les plateformes de vidéos et services de streaming, les rappeurs et producteurs n’ont plus qu’à piocher dans leurs spectacles préférées pour étoffer, épaissir ou alléger leurs morceaux à la lumière d’une tirade humoristique. Quand à conceptualiser son album autour d’un one-man show, cela n’a pas encore été fait. La pochette de « uknowhatimsayin ? » de Danny Brown se rapproche pourtant du concept. S’inspirant d’une affiche de spectacle de Richard Pryor, chapeauté par Q-Tip, l’album n’est pas très loin de ce tour de farce. Son auteur, capillairement allégé, donne par ses tournures de phrases, sa voix cartoonesque et son humeur détaché un spectacle noir, caustique, saupoudré de punchlines acerbes. Sur la production apocalyptique de Playa Haze sur « Savage nomad », Danny Brown se fend de deux lignes redonnant le sourire dans un contexte sombre : « N&##@, I'm far from a ho, but life's a bitch (Uh-huh) ». « I ignore a whore like an email from LinkedIn”. Une ligne parfois très fine où Danny joue au funambule jamais très loin de la chute, mais toujours le sourire au coin de l’œil. Un équilibre espiègle résumé à merveille sur le morceau « Best Life ». Une humeur qui ne quittera pas le disque de « Change Up » à « Combat », en passant par le plus hilarant de tous, sûrement ce « Dirty Laundry » au clip inspiré où Danny n’hésite pas à sortir le costume de pimp et à surjouer un personnage complètement barré. Mais si « uknowhatimsayin ? » est aussi le meilleur album de Danny Brown, c’est en grande partie grâce à Q-Tip qui a su canalisé l’énergie du rappeur de Detroit. Souvent épars sur ses précédents disques (« XXX », « Old », « Atrocity Exhibition »), le génie d’A Tribe Called Quest a su trouver la formule et condenser le format de l’album. Onze titres concis, pas de troisième couplet et des invités à la hauteur du rappeur (Run The Jewels, Blood Orange, Obangjayar, JPEG Mafia), Q-Tip a laissé assez de mouvement à Danny et semble l’avoir sagement avisé pour qu’il puisse enfin livrer un album s’écoutant d’une traite. Le producteur new-yorkais, en plus de jouer à la direction de rappeur, a pu dénicher quelques boucles finement samplées. Le « dig » du sample de « Dirty Laundry » va chercher dans le rock électronique du début des années soixante-dix (« Aurora Spinray » de Syrinx), « Best Life » va chercher dans la douce soul de Tommy Mc Gee (« To make you happy » déjà samplé par Rashad sur « See the Milq from my Chevy » de Stalley en 2011). Enfin sur « Combat », Tip est encore dans les années soixante-dix en piochant un extrait du documentaire « 80 blocks from Tiffanys » de Gary Weis dont Danny Brown sortira également le titre « Savage Nomad ». Un album rondement mené qui pourrait amener à encore plus de comédie dans le rap dans la décennie qui arrive.



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